Bertrand Piccard : « Nous ne cherchons pas à empêcher les gens de tourner en rond. Juste à leur montrer comment ça peut tourner mieux. »
10 juillet 2025
10 juillet 2025
Surexploitation, réchauffement, pollution. Notre océan est menacé. Mais nous avons le pouvoir de le sauver. Bertrand Piccard en reste convaincu. Et l’explorateur et environnementaliste suisse nous explique comment dans « L’opportunité de l’océan : Un guide de solutions pour l’économie bleue », récemment publié par sa Fondation Solar Impulse à l’appui.
Dans notre monde qui se réchauffe, la demande de production de froid pour la climatisation ne fait qu’augmenter. Les experts lui prévoient une hausse de 45 % d’ici 2050. Et ça restera un problème tant que ce froid sera produit à grand renfort de combustibles fossiles. En 2021 encore, 75 % de la chaleur – il faut inclure dans ce terme, les besoins en froid – produite dans le monde l’était à partir d’énergies fortement émettrices de gaz à effet de serre.
Pourtant, il existe des solutions « de bon sens », comme aime à les appeler Bertrand Piccard. « À 900 mètres de profondeur, la température de l’eau de mer est de l’ordre de 5 °C. Il suffit de la faire remonter dans un tuyau à l’aide d’une simple pompe et de la faire passer dans un échangeur de froid pour climatiser des bâtiments sur nos côtes. L’eau prélevée peut ensuite être rejetée sans impact sur l’océan à des profondeurs moindre où elle se mélangera naturellement à une eau de même température. » D’une simplicité enfantine.
Un tel projet est d’ailleurs en cours sur l’île de La Réunion. Le CHU de Saint-Pierre sera bientôt climatisé à moindre coût par un Swac – pour Sea Water Air Conditioning – comme l’appellent les professionnels du secteur. « Ce genre de solutions existent, mais elles restent peu connues. C’est pourquoi nous avons voulu les mettre en avant », nous explique l’explorateur et environnementaliste suisse.
Avec sa Fondation Solar Impulse, il vient en effet de publier « L’opportunité de l’océan : Un guide de solutions pour l’économie bleue » qui livre quelques exemples choisis de solutions « à fort impact, concrètes, testées, éprouvées, rentables et prêtes à être déployées ». Celle proposée par ECOncrete est de celles-ci.
« Sur les bancs de sable sur lesquelles on installe nos éoliennes en mer, il n’y a pas beaucoup de vie. Mais en remplaçant les blocs de béton classique qui les maintiennent par des blocs de béton ECOncrete avec ses formes et sa porosité étudiées pour ça, on peut faire s’accrocher des algues et des coquillages. Ça attire des petits poissons. Qui eux-mêmes attirent de plus gros poissons. Et on peut ainsi développer un écosystème marin grâce à l’implantation d’éoliennes en mer. »
Dans le port de Brest, c’est la solution d’HelioRec qui a été retenue. Celle de l’installation de panneaux solaires flottants sur une surface de 250 mètres carrés. De quoi résoudre le problème du manque de terrains susceptibles d’accueillir de nouvelles centrales solaires. Et sans nuire à la biodiversité marine.
« J’en veux beaucoup aux marchands de peur. À ceux qui ne voient que les problèmes. Ceux qui veulent nous faire croire que tout est perdu. C’est d’autant plus criminel qu’il existe des solutions », nous confie Bertrand Piccard. Et s’il lui tient tant à cœur de partager ces solutions, c’est aussi en souvenir du désarroi qu’a pu éprouver son père, Jacques, lorsque dans les années 1970, le rapport Meadows lui avait présenté la décroissance pour seule et unique issue. « Personne ne veut de ça. À la Fondation Solar Impulse, nous ne sommes pas là pour empêcher les gens de tourner en rond. Nous sommes là pour leur montrer comment ça peut tourner mieux. Je sais que mon père serait ravi, aujourd’hui, de constater qu’il existe d’autres portes de sortie. Qu’on peut avoir une vision constructive de la protection des océans. » Et de la protection de notre Planète, plus généralement.
« Dans ma famille, on apprend à ne jamais écouter ceux qui disent que quelque chose est impossible. » C’est le fil conducteur de la BD de Jean-Yves Duhoo, « Un, deux, trois Piccard » (Dargaud). Personne ne pensait que nous pourrions atteindre le fond de la fosse des Mariannes. Jacques Piccard a prouvé le contraire. En 1960. « Mais ce n’était pas pour battre un record. À une époque où les gouvernements envisageaient d’utiliser les fosses marines comme des poubelles géantes, il voulait voir s’il y avait de la vie, au fond. La découverte qu’il a faite d’un poisson et de quelques crevettes a stoppé net toutes les velléités. »
Lorsqu’Auguste, le grand-père, a défié tous les pronostics en atteignant la stratosphère en 1931, ce n’était déjà pas seulement pour la beauté de l’exploit. « Il voulait montrer qu’on pouvait voyager à très haute altitude, au-dessus des nuages, là où l’air est raréfié et où il y a moins de résistance. Qu’on pourrait ainsi consommer moins de carburant. Son but, c’était déjà l’efficience énergétique. C’est de là qu’est née l’idée de ma Fondation Solar Impulse, nous raconte Bertrand Piccard. De l’envie de mettre en lumière des solutions de bon sens. Parce que pour moi, le bon sens, c’est avant tout l’efficience. »
« Nous devons arrêter de gaspiller l’énergie et les ressources au sens plus large. Et pour nous y aider, nous devrons nous appuyer sur des technologies. Celles qui permettront aux data centers de chauffer nos villes. Celles qui permettront de récupérer la chaleur des cheminées d’usine. Mais je veux être extrêmement clair à ce sujet. Si la technologie peut améliorer notre condition, elle peut aussi nous mener à la catastrophe si on ne lui adjoint pas le bon sens. »
Pour nous aider à comprendre son raisonnement, Bertrand Piccard revient sur son expérience à la 3e Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc-3). En ce début de mois de juin 2025, elle a rassemblé à Nice les représentants de la plupart des pays du monde en quête d’accords globaux pour protéger nos océans. « C’est nécessaire, mais pas suffisant. Si on décide qu’il est interdit de pêcher au chalut dans les aires marines protégées, on ne peut pas accepter que certains passent outre et que leurs poissons se retrouvent dans nos supermarchés. Pour interdire l’entrée dans nos ports des bateaux qui font de la pêche illégale, on n’a pas besoin d’accords internationaux. Aujourd’hui, la technologie nous permet de traquer tous les bateaux du monde. Il serait facile d’établir une liste noire. Et d’empêcher ainsi l’accès à notre marché aux produits de la pêche illégale. Tout ce qu’il nous manque, c’est un peu de courage. Si la France le faisait, d’autres pays suivraient. Ce ne serait pas seulement bénéfique pour les océans. Aussi pour nos pêcheurs qui sont respectueux de leur travail. »
« Pêchez dans une aire marine protégée, c’est tuer la poule aux œufs d’or, nous assure Bertrand Piccard. Ces zones sont imaginées pour permettre aux poissons d’évoluer à l’abri du prédateur humain. Ils s’y multiplient plus facilement et migrent ensuite en dehors de ces zones. Si on arrête la pêche industrielle dans ces zones et que les pêcheurs se postent plutôt en limites, ils pourront capter ceux des poissons qui en sortent en laissant les autres continuer à se reproduire et à assurer le maintien des populations. C’est la garantie d’une pêche plus fructueuse et plus durable. »
Selon l’explorateur et environnementaliste suisse, ce qui nous manque donc aujourd’hui, c’est surtout le courage d’agir. De sortir du statu quo. Il nous en avait déjà parlé il y a quelques mois.